Et Chantal se releva

A peine a-t-elle mordu dans ce siècle. Elle a vibré sa trop courte vie, à travers une poésie originale puissante. Evocation d’un après-midi d’hommage, par le recueillement de la lecture publique, à la regrettée Chantal Lammertyn, à la Maison de la poésie de Beuvry, dans le Pas-de-Calais. 

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Hervé Leroy, Patricia Lammertyn, Christine Kokelaere. ©Albert Lammertyn

N’oubliez jamais
Que votre souci est de comprendre
Pas besoin de mots
Les yeux suffisent à bercer la cendre.

Il fait bon être ici. La veille, 5 mars, ma sœur Chantal aurait eu soixante-sept ans.
En ce mercredi 6 mars 2024, à Beuvry (Pas-de-Calais), les mots de Chantal Lammertyn, disparue en décembre 2003, voyagent entre les murs de la Maison de la poésie des Hauts-de-France, une villa chaleureuse dans un joli coin de nature.
Cette lecture-spectacle mise en scène par le journaliste et écrivain Hervé Leroy a pour titre une phrase reprise d’un poème de Chantal : Demain je relève mes cheveux.
Oh ! elle ne relève pas seulement ses cheveux. Elle se relève entière, à travers les corps debout d’Hervé et de Patricia, aînée de Chantal qui chemine aujourd’hui dans les pas et les semelles de vent de sa petite sœur. 

je t’aime rire, je t’aime corps, je t’aime
peurs, je t’aime oisive, je t’aime positive, je
t’aime sans façons, je t’aime veines et poignets (…),
je t’aime roses comme deux seins sur la 
neige, j’aime ton cœur perdu dans ta poitrine.

Screenshot

Chantal autrefois lectrice, aujourd’hui toujours lue.
©F.Chaumorcel

Pour accompagner ces moments de grâce — la grâce étant elle-même le thème du jour de la Maison de la poésie —, il y a aussi la présence active, dans son périmètre de scène, d’une des premières et fidèles complices de Chantal : la flûtiste Christine Kokelaere.
De son souffle musical, Christine fait revivre Chantal. Avec ses amis compositeurs, de Fauré à Telemann en passant par Satie, Bach ou Ravel, elle ponctue, avec douceur, cette heure de lecture à deux voix.
Les voix de Patricia et Hervé chaloupent, s’interpellent, se répondent, parfois se mêlent, glissant sur le silence respectueux d’un public fourni. Et Hervé Leroy, par instants, d’interagir avec le public, déclamant par exemple :

Ta main est d’une géographie bizarre.

Le voici qui saisit une des miennes, à moi qui suis au premier rang de l’auditoire-spectateur.

Je la veux dans ma main
Ma main est d’une géographie bizarre.

J’aime beaucoup cet instant qui me relie physiquement à ma sœur dans l’enchantement d’une géographie bizarre, — tiens, tiens, bizarre, qui donc a dit bizarre ?
Comme précédemment écrit sur ce blog pour annoncer Demain je relève mes cheveux, la poésie de Chantal Lammertyn se caractérise par une soif d’absolu, à travers des textes coupants qui fouillent toutes choses à vif et à mort. Elle traverse allègrement le temps.

Je suis un chat perdu dans l’univers
mes grandes ailes de chat m’empêchent de voler

Ou encore :

A ma dernière limite, quand je n’écrirai plus, la tête fendue en son milieu, le cerveau n’engrangeant plus, ma chair au sol ne manquera pas d’épouvanter.
Un peu de vent, par la fenêtre, affolera légèrement les ailes déchiquetées d’un bel oiseau resté au fond de la gorge.

Oh ! Chantal, tu embrasses si bien le monde :

Les enfants continuent de rire et de courir dans la ville qui tue.

Tu es encore là ?

C’est pour ne pas avoir oublié que j’écris
Il est temps de coucher pénible avec la mer
Demain, je relève mes cheveux et je recommence
Demain je relève mes cheveux.

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Maison de la poésie des Hauts-de-France, 37, rue François Galvaire, à Beuvry.